chicago II

Publié le par Catherine de Normandie

Pourquoi repartir alors que tout m’était fermé là-bas ?

 

Parce que les personnes qui se mettaient au travers de ma route n’étaient que des ponts à enjamber.


Avoir été « reconnue » immédiatement comme « la fille de Bud » me dopait. On avait trouvé des ressemblances ici et là, et c’était vrai. Par contre, tous fuyaient quand je demandais simplement où était sa tombe.


La vieille voisine de mon père m’avait dit, alors que toute émue je réclamais un whisky : « Je crois voir votre père. Il s’asseyait là, dans la même position que vous et réclamait un scotch. Depuis sa mort, je n’en ai plus ».


A partir de là, étant la seule enfant de cet homme, il me semblait légitime d’aller au bout de l’affaire pour comprendre ce que l’on tenait absolument à me cacher.


Les secrets sont mortifères. Ils sont cause de honte, de mal-être, de douleurs psychologiques. Ma mère en premier, après m’avoir laissé manipuler les lettres que mon père lui avait adressées, les avait jetées quand j’ai eu l’âge de les déchiffrer, prétendant qu’elles ne contenaient rien d’intéressant. Ensuite, elle avait répondu évasivement à toutes mes questions, allant jusqu’à prétendre à un moment qu’il était sans doute mort.


Cette époque était révolue : j’étais à présent responsable de ma vie,  ne causais du tort à personne et n’avais pas à expliquer mes motivations.


Quand j’ai averti que je revenais, mes cousines sont restées muettes. Il fallait donc contourner l’obstacle.


Cedric, le pasteur de Chicago m’a tendu la main.


 


Je l’avais rencontré à Trinity Church. C’était la première fois que je pénétrais dans une église de américaine. Ce jour-là, j’avais compris ce qu’était une communauté, et ces souffrances qui venaient de si loin. Cedric avait appris le français en Côte d’Ivoire, disait-il. Il s’intéressait à mon histoire, nous avons échangé nos adresses mail.


Tandis que je déprimais face à ma cousine, la  pensée d’avoir un ami quelque part parlant français me soulageait. Nous avons un peu correspondu.


Quand l’année d’après je me suis adressée à lui, il m’a proposé de m'héberger dans l'appartement qu'il occupait pour deux mois, dans Chicago.


Quelques jours avant le départ, nous avons constaté, stupéfaits, qu’il habitait South Rhodes avenue, à quelques minutes seulement de l’immeuble de mon père.


J'ai cru à une anarque, prête à annuler. Comment était-il possible que dans une ville aussi immense, il habite près de chez mon père ? Un tel hasard ne pouvait exister. Cedric avait tout naturellement l’explication :


- C’est Dieu.


Par chance aussi, j’avais une autre béquille : Françoise, une amie amoureuse de Chicago logeait dans un hôtel du centre ville. Je pouvais compter sur elle.


Nous sommes passés devant la célèbre Université de Chicago. Immédiatement après Hyde Park, nous avons pénétré dans un espace dévasté où les rares piétons marchent sur des trottoirs défoncés. Les immeubles décrépis semblent abandonnés. Les rideaux des boutiques sont baissés, rouillés. Cedric a haussé les épaules d’un air fataliste quand je lui ai demandé comment les personnes âgées se déplaçaient.


South Rhodes, que je n’avais vu que de nuit l’année précédente, est une belle avenue bordée d’arbres plantés le long d’une large contre-allée encadrée par des immeubles en briques rouges. La nuit, les lumières des lampadaires intérieurs éclairent de beaux corridors et les vitraux de quelques portes d’entrée.



Mais les rez-de-chaussée sont barricadés et des pancartes agressives informent que ces maisons sont électroniquement protégées. Personne aux fenêtres. La chaussée est défoncée par endroits. Sur la ruelle, les façades sont sales. Malgré la douceur du soir, tous les jardinets sont déserts, ni sièges ni balançoires, juste de l’herbe sauvage encerclée par des clôtures. La véranda de la maison est tapissée de planches, de cartons. Les armes sont en vente libre.


Dans la 63° rue au-dessus de la quelle passe un train aérien, mon père fréquentait un bar. Tout a été détruit. Il ne reste qu’un terrain vague, sinistre.


En marchant, je regardais vers les fenêtres de l’appartement de mon père, antennes déployées pour capter les odeurs, les rumeurs, attentive à l’endroit où je posais le pied. Il était nécessairement passé par là pour aller à la station de métro, avait grimpé ces mêmes escaliers, s’était peut-être assis sur ce siège. dans le wagon. Ses yeux s’étaient posés sur le même paysage.


J’étais plus proche de mon père que l’an passé. Et cela me suffisait.


Mes cousine n'auront pas le temps de  me rencontrer.


Comme l’année précédente, je me suis sentie enfermée. C’est peut-être ça l'Amérique : le bouclage social et mental. Le pays de la « liberté » me semble plus dangereux que l’Afrique, avec partout des limites et le partage d’un territoire immense en tous petits compartiments, et l’homme pour ennemi.

 

Il ne m’a pas été possible de rapporter des photos. L’appartement  de Cedric a été cambriolé, sans doute par des gens du quartier. J’étais arrivée avec une belle valise rouge.


Je suis repartie sans avoir pu, encore une fois, approcher la tombe de mon père.

 

Mais dans cette affaire, j'ai appris que quand une porte se ferme, une autre s'ouvre, automatiquement. Il suffit d'être patient.



 

 

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C
Tout simplement merci Catherine .<br /> Amitiés Claude
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C
<br /> Suis très confuse. Disons merci à ceux qui ont laissé de longues traces ici. A bientôt, Catherine<br /> <br /> <br />